Rousseau cherche dans cet extrait des Confessions à définir le sentiment qu'il éprouve à l'égard de Madame de Warens chez qui il séjourne. Il montre combien aimer quelqu'un, c'est aimer un être singulier de manière exclusive.
Le coup d'œil de notre première entrevue fut le seul moment vraiment passionné qu'elle m'ait jamais fait sentir ; encore ce premier moment fut-il l'ouvrage de la surprise. Mes regards indiscrets n'allaient jamais furetant sous son mouchoir, quoiqu'un embonpoint mal caché dans cette place eût bien pu les y attirer. Je n'avais ni transports ni désirs auprès d'elle ; j'étais dans un calme ravissant, jouissant sans savoir de quoi. J'aurais ainsi passé ma vie et l'éternité même sans m'ennuyer un instant. [...] Enivré du charme de vivre auprès d'elle, du désir ardent d'y passer mes jours, absente ou présente je voyais toujours en elle une tendre mère, une sœur chérie, une délicieuse amie et rien de plus. Je la voyais toujours ainsi, toujours la même, et ne voyais jamais qu'elle. Son image toujours présente à mon cœur n'y laissait place à nulle autre ; elle était pour moi la seule femme qui fût au monde, et l'extrême douceur des sentiments qu'elle m'inspirait ne laissant pas à mes sens le temps de s'éveiller pour d'autres, me garantissait d'elle et de tout son sexe. En un mot, j'étais sage, parce que je l'aimais. Sur ces effets, que je rends mal, dise qui pourra de quelle espèce était mon attachement pour elle.
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, livre troisième, 1782
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